Requiem pour Ferré

2002 Non Par Rodolphe Viémont

Texte sur et à la manière de.

Écoute mec, écoute…
Écoute…

Article 1 : faire semblant
On fait tous semblant
Pour le soucis, pour le cortex, pour le piano et les poètes.
Dans le silence de tes nuits
Tu noircis fièrement tes gammes de sperme
Ton lit de folie, tes mots de rouge.
Ferré, maudit ?
Peut-être, mais nous sommes tous des maudits
Il suffit de s’en masturber la tronche
Passons, veux-tu. Ces années-là. Passons.
Ces formules de Paname à deux sous
Tes formules anonymes pour un succès irréel
Pour tes amours d’enfant.
Des tonnes d’adolescence amères
Liquides, sur les plages de Bretagne
Ici ou là
Du Guesclin ou ailleurs
Quand tu appelles ça le bonheur
Et que tu n’y crois pas une éternité.
Passons.

Article 2 : ne rien confier
Ne rien attendre surtout                                                                                       (début musique)
Surtout pas en cet avril 68
Cet avril de ton cul à la poudre nomade
Et c’est Perch-Rigal qui pleure
Perdrigal qui fout le camp
Boum ! boum ! deux balles dans ta tête, c’est tout comme
Quand l’âge adulte t’envulve et t’enserre,
Loin de ton imaginaire – carte.
Cette tournée de l’enfer aux bras de ta nouvelle
Les nouvelles de la roulette qui se mettent du rouge au front
Tu n’entends rien mais tu sens, tu sens
Allô ? Allô ? Madeleine ?
Trop tard !
Une balle dans chaque tête, c’est tout comme
Et c’est le bonheur zaza qui s’en va faire un tour
Sur les trottoirs glacés de la pute de Cahors
Dans les salles de l’ennui, aux théâtres des cons.
Quand tu le tiens, le bonheur, faut lui mettre sa laisse !
Sinon il se barre ! Le bonheur, ça découche. Toujours !
Elle est loin la mer. Elle est loin.
Le sable d’or et la grève – dentelle
Les tuiles qui s’ovnisent dans la gueule des gens
Dans la tronche des cons.
Les fleurs noires, des fleurs opaques pour les imbéciles
Ces gens ça gueule !
Toujours ça gueule !
Et quand il faudrait qu’ils l’ouvrent
Ils soliloquent à mi-mot et finissent par se taire
Très occupés, là-bas,
Au pays du silence et des abonnés manquants.
— Alors, Ferré, on t’a pas beaucoup vu sur les barricades !
— Alors, Ferré, y paraît qu’t’as des usines ?

Article 3 : vivre pour soi
L’autre, t’y reviendras, on y revient toujours
Ils ont les moyens :
L’ordinateur, la télépathie, la génétique. Le téléphone !
C’est aussi ça leur méthode.
La peur, toujours la peur.
Tu étais noir, qu’importe !
Tu étais rouge, ah bon ?
Et réflexion faite, on s’en fout.
Moi, je m’en fous.
Et pourtant, ça jouit rue d’Alésia, rue Pershing
La petite lorgnette des juridico-cultureux
— Tu vois quelque chose ?
— Non, j’vois rien !
— Tant pis, on fera avec !
Ça jouit et ça gicle des tonnes d’inconvenances sur les rotatives du sensas
Un train en retard, toujours un train de retard
Sur les quais des partouzes bourgeoises, au sortir des usines.
C’est Ferré qui s’enfuit, c’est Ferré qu’on assaille et qui s’en moque
C’est Ferré qui amuse maintenant qu’il est loin
Alors, les gens, avec le temps on finit par aimer ?
Peut-être.
Le soleil ! le soleil de Toscane
Loin du vacarme de la scène et du public sourd, aveugle
Qui brûle l’épiderme du repos.
Et tu capitalises ton cancer en silences heureux
En respirations séchées, en demi-sourires gelés.
Enfin tu jouis, mec.
Et bientôt tu jouiras pour trois, quatre, cinq
Au final, quand tu vois un couple dans la rue,
Tu gardes le trottoir, hein ?

Article 4 : la liberté, c’est notre liberté 
Regarde-la, rejoins-les, sinon t’es coincé !
Marie-Christine : débalayée !
Mathieu : poster de couv’
Et les deux petites qui t’attendent, qui t’espèrent pour crier.
Les enfants, ça crie. C’est leur errance.
Et quand ça crie, tu pleures.
Alors regarde-la, rejoins-les !
La liberté : l’aliénation joyeuse !
Alors aliène-toi, aliène-toi !
C’est Ravel, c’est Debussy
Et bientôt c’est Ferré
C’est Verlaine, c’est Rutebeuf
Et déjà c’est Ferré
Et c’est le phila-machin de Monaco que tu ordonnes
Que tu cristallises pour toi
Rien que pour toi
En égoïsme jouissif, en rancune paternelle.
Entendre jouer sa musique, c’est 1000 fois faire l’amour, non ?
Il est loin le maudit
Il est loin l’aliéné volontaire des ces Jolies Mômes
Et c’est celui-ci qu’on aime
Moi, c’est c’ui-là que j’aime !
Sur la plage, cette fois, le sable bêle
Bien beige
Et déjà mort-doré d’infini, et pour longtemps
Ce temps qui passe en silence, en accords, en mots,
8/7/8/7
mais en silence.
C’est bon le temps qui passe, non… quand il est bon
Et puis le temps qui s’arrête, qui se retourne vers l’infini
Qui prend sa pause.
Ce bide du show-business
Ce miracle des voyelles
Là-bas, en l’an 10.000, en l’an 10.000
Pour la fiancée de l’ombre
Pour son sourire d’ingénue et ses lèvres carmins
Là-bas, en l’an 10.000
Où dieu fait son fier, où dieu joue son maquereau.                                      (fin musique en cut)
Et ici, sur l’air marin de tes EP glacés.
Miserere, Ferré, du fond des anonymes.